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Alan Geaam, précurseur de la cuisine libanaise étoilée

Alan Geaam est le seul chef étoilé Michelin en France à proposer une cuisine libanaise. Il nous accueille dans son palais des délices, au Restaurant Alan Geaam, dans le 16e arrondissement de Paris, pour nous raconter son histoire et sa vision du monde de la gastronomie de demain.
Article - 27 janvier 2025

A man who is standing tall

 

Qu’est-ce qui au cours de votre enfance et de votre parcours, a suscité votre amour pour la cuisine ?
Ma cuisine, c’est la rencontre de la France et du Liban. Avant tout pour dire merci à ma mère qui m’a donné l’envie d’être un chef. Et aussi pour raconter mon histoire. J’ai grandi au nord du Liban en pleine guerre civile. Pendant mon enfance, j’étais toujours à côté d’une gamelle dans laquelle cuisinait ma mère. Je me rappelle de cette odeur des épices, de sa façon de cuisiner avec beaucoup d’amour et d’émotions… Ma mère était beaucoup aimée des gens. Elle invitait toujours tout le monde à venir manger à notre table. Quand j’étais gamin, je me disais « un jour j’ai envie d’être comme elle, être aimé par les gens et faire plaisir aux autres ». En même temps, on voyait les émissions de Monsieur Bocuse et de Monsieur Robuchon à la télévision. Je voyais pour la première fois cette cuisine française, complètement différente de la cuisine libanaise. J’avais le sentiment d’être davantage face à une œuvre d’art qu’à de la cuisine, et je me suis promis d’aller un jour à Paris pour la conquérir ! En 1999, j’arrive en France en sac à dos avec un passeur. Je ne parle pas français, je n’ai pas de visa et je ne connais personne. Seul avec mon rêve, celui de devenir cuisinier. Je me suis d’abord retrouvé sur les échafaudages de chantier. C’est le premier travail qui m’a fait sortir de la rue. J’ai ensuite été recruté comme plongeur le soir dans un restaurant. Je travaillais seize heures par jour, sept jours sur sept pour petit à petit remonter l’échelle.

Que souhaitiez-vous apporter au monde de la gastronomie en ouvrant vos restaurants ?
J’ai acheté mon premier restaurant, l’Auberge Nicolas Flamel, en 2007 en apprenant la cuisine par les livres. Je n’ai pas fait de formation, et j’avais du mal à assumer mon histoire. Je restais toujours caché derrière une cuisine française avec une influence japonaise ou italienne, parce que ça parlait à tout le monde. Je ne prenais pas de risques. Jusqu’en 2017 quand j’ai acheté cette Maison, le Restaurant Alan Geaam. Quand j’ai assumé d’appeler mon restaurant « Alan Geaam », Alan Geaam qui n’a pas fait de formation, qui n’a pas travaillé chez le grand Alain Ducasse ou Yannick Alléno, mais qui a quand même le droit d’être un chef autodidacte d’origine libanaise et réussir. Le milieu du Michelin, je le voyais à la télévision. Je n’ai jamais imaginé qu’un jour, moi, je serai aussi un chef étoilé. Mais c’est le travail, c’est la volonté, l’acharnement, ne jamais baisser les bras, qui m’a ramené jusqu’à ici. Le jour où, assis dans ce restaurant en chantier, je me suis dit « jusqu’à quand est-ce que je vais rester caché derrière une histoire qui ne m’appartient pas ? Jusqu’à quand je vais utiliser des ingrédients qui ne m’appartiennent pas ? » je me suis finalement dit « c’est bon, c’est ça mon histoire. C’est le Liban. Le Liban à Paris. » Ca m’a pris dix-huit ans pour trouver mon identité ici, en France. Et le jour où j’ai assumé mon histoire, j’ai commencé à sentir une émotion très très forte dans ma cuisine, et l’étoile est arrivée directement derrière. Six mois après l’ouverture de ce restaurant.

Et aujourd’hui ?
Les gens sont de plus en plus demandeurs d’une cuisine végétarienne. En janvier 2024, j’ouvre le premier bistro libanais 100% végétarien : Qasti Green. « Qasti » signifie « mon histoire » en libanais. Mon histoire, en vert ! On y sert plus d’une trentaine de plats végétariens très gourmands. C’est ça le challenge !

Qu’est-ce que ça implique d’être le seul chef libanais étoilé ?
Je porte sur mes épaules la responsabilité d’être le seul chef d’origine libanaise étoilé. C’est un grand message pour les jeunes cuisiniers libanais. Ca montre que l’on peut y arriver sans formation, sans CAP. Je suis parti de zéro. J’ai commencé par la plonge, le bâtiment, jusqu’à l’étoile. Je porte aussi la responsabilité de ramener ma culture culinaire à Paris, d’être l’ambassadeur de la cuisine libanaise en France et de montrer que c’est aussi une cuisine élégante et raffinée.

Retrouve-t-on votre identité culinaire dans votre offre de boissons ?
Depuis quelques années on fait beaucoup de recherches au Liban, dans les montagnes, dans les villages, pour ramener autre chose que du houmous et des falafels. Il y a énormément de produits d’exception, d’excellents vins de très bons vignerons que l’on sélectionne pour les partager avec nos clients. On crée aussi des boissons non alcoolisées à partir de toutes ces saveurs-là – l’eau de rose, la fleur d’oranger par exemple – qui se marient très bien dans les cocktails.

Qu’aimeriez-vous davantage retrouver dans le monde de la gastronomie de demain ?
J’ai grandi à côté d’un souk et je pense qu’aujourd’hui, on a besoin de retourner un peu au début de l’histoire, à cette période-là. A cette période où le producteur faisait pousser sa tomate ou son haricot en pleine saison et le vendait ensuite au marché. On devrait revenir un peu en arrière. Laisser la terre reposer tranquillement, sans produits chimiques, sans pousser la production pour aller chercher encore et encore. Ce sont les principes d’un maraîcher. Ce sont les principes d’un cuisinier. Et c’est ça en fait la seule chose que je souhaite aujourd’hui.

Photo : Emanuela Cino