Par Gabrielle Vizzavona
IMAGINER L’APRÈS. JÉRÔME TOURBIER, CO-DIRECTEUR DES SOURCES DE CAUDALIE ET DES SOURCES DE CHEVERNY :
« NOTRE PHILOSOPHIE EST D’AVOIRLES PIEDS SUR TERRE ET LA TÊTE DANS LES ÉTOILES »
Jérôme et Alice Tourbier se définissent comme entrepreneurs de l’art de vivre. Un bien joli titre qui évoque les lieux oenotouristiques qui lient hôtellerie, restauration, vin et spa qu’ils ont développés main dans la main. Les Sources de Caudalies, blotties contre le Château Smith Haut Laffite à Pessac-Léognan, sont devenues en 20 ans une institution bordelaise et un haut lieu de la gastronomie et du vin. À elles, s’ajouteront dès le 1er septembre 2020 les Sources de Cheverny, proches du château de Chambord, qui mettront en exergue les vins du Val de Loire. Jérôme Tourbier est aussi l’auteur du livre « Tourisme en péril » aux éditions JC Lattès, dans lequel il fournit des solutions pour rendre à la France son attractivité.
Comment s’oriente l’oenotourisme pour les mois à venir ?
L’oenotourisme a déjà repris et cela va encore s’accentuer pendant l’été, avec une clientèle différente, car très largement française et des offres qui s’adressent à elle. Il y a une opportunité qui doit nous donner de l’espoir : les 9 millions de français qui partent habituellement à l’étranger vont majoritairement rester en France pour les vacances d’été, avec le besoin de retrouver un contact avec la nature. L’envie de redécouvrir nos territoires est très forte. Notre philosophie est d’avoir « les pieds sur terre et la tête dans les étoiles ». « Les pieds sur terre », pour nous, cela a toujours consisté à rester connectés à notre clientèle française et même locale.
Quelles sont les attentes de la clientèle française ?
Le vin fait partie du patrimoine culturel national. Cela signifie que des gens encore plus connaisseurs vont venir nous trouver. Nous nous considérons comme les passeurs du savoir des vignerons et des producteurs locaux et voulions être une porte d’entrée pour que les Français s’intéressent au vin. Aux Sources de Caudalie, nous nous sommes positionnés depuis 20 ans comme démocratisateurs des vins de bordeaux, nous allons poursuivre cela avec les vins de Loire aux Sources de Cheverny.
La clientèle française est-elle plus sensible au prix ?
La clientèle française a effectivement une plus forte sensibilité au prix que la clientèle étrangère. Nous devons faire des efforts pour maintenir des coefficients raisonnables et permettre à notre clientèle française de s’offrir de grands vins pour accompagner son repas, pour qu’elle se crée un souvenir encore meilleur. La sélection du sommelier de notre restaurant deux étoiles « La Grand’ Vigne » propose des premiers grands crus classés au verre à des prix raisonnables.
Le prix des primeurs de Bordeaux 2019 a diminué de 20 à 40 %. Cela relancera-t-il la consommation des Français de grands vins de bordeaux ?
La campagne primeur nous renseigne qu’il y a une pression sur les prix. Cela va permettre aux acheteurs français qui ne pouvaient plus s’offrir certaines étiquettes de pouvoir acquérir à nouveau certains crus dont ils avaient la nostalgie ; les vins de leur jeunesse ou ceux que leurs parents ou leurs grands-parents consommaient régulièrement.
Le marché des vins de bordeaux est-il très différent de celui des vins de Loire ?
La force de bordeaux est de bénéficier d’un réseau de distribution particulièrement efficace, qui fait que certains châteaux rayonnent à travers le monde. De nombreux vignerons et appellations n’ont pas encore cette puissance de distribution et gagnent à être connus. Nous découvrons dans la Loire un vignoble où il y a énormément de vins d’excellente qualité et qui sont encore très abordables. L’intérêt grandissant des États-Unis pour cette région n’est pas un hasard ; les lois du marché fonctionnent.
Quelles opportunités la crise apporte-t-elle ?
Comme toutes les crises, c’est un accélérateur. Dans l’hôtellerie, les Anglais le résument très bien par cette phrase ; « automate the predictible to humanize the exceptionnal » (« automatiser le prévisible pour humaniser l’exceptionnel »). Aujourd’hui, le parcours digital d’un client (renseignements, réservation, obtention de tarifs) doit être d’une efficacité optimale. Pour les maisons familiales de petite taille comme la nôtre, ce sont des chantiers que nous sommes obligés d’appréhender. Ce n’est en revanche absolument pas la fin de l’intelligence créative du service. Bien au contraire ; ce parcours digital nous permet de libérer du temps pour être face à nos clients.
L’accélération digitale a-t-elle d’autres vertus ?
Nous nous dirigeons vers beaucoup plus de transparence ; les clients surfent sur les sites de cotation et cherchent les prix des vins dans le commerce. La marge des restaurateurs s’éclaircit au profit du consommateur. Le consommateur est toujours le grand gagnant des crises.